"Hard glamour" ou le glamour radical
Bientôt, le look teenage prit une autre direction, plus glamour et hollywoodienne, où les filles rêvaient de porter des robes moulantes, des robes longues à épaules dénudées, des jupes courtes, et des shorts encore plus courts avec des blouses calypso. Peut-être inspirées des modes de Paris et de New York, il existait plusieurs versions très sexy de ce que les femmes bien habillées de la société portaient à l'époque. Frederick's of Hollywood, le célèbre créateur de sous-vêtements des années 1940 (basé à Los Angeles) eut une influence certaine sur cette partie de la garde-robe, et comme tout se commandait par catalogue, il apporta le rêve à toute femme capable d'oser accentuer ses formes avec des rembourrages, des pantalons capris en lamé or, des soutiens-gorge "push-up" - comme ceux de la marque Wonder-bra pour avoir une poitrine pigeonnante- et ces incontournables escarpins "cha-cha". Les adolescentes cependant, et d'une manière générale, portaient des tenues plus sobres, plus passe-partout et conventionnelles qui étaient elles aussi inspirées par leurs équivalents européens, de Paris surtout, de Rome (La Dolce Vita, par excellence), voire New York. Les plus hardies portaient des tenues plus agressivement sexy. mais c'était considéré comme risqué, bien que socialement acceptable - enfin, avec des nuances, selon les parents!
Le "glamour radical" devint si commercial vers la fin des années cinquante que les enfants ne pouvaient guère attendre d'être des adolescents ( qui eux aussi rêvaient tous de devenir adultes plus vite!) au point que des étoles de chinchilla en fausse fourrure d'acétate, des robes moulantes et, le nec-plus-ultra, les escarpins en plastique transparent avec paillettes incorporées, furent produits en quantités mirobolantes. "Dress-up shoe" -la chaussure habillée- de Consolidated Productions à Fort Lauderdale, Floride fut le nom de leur collection datant de 1958 de tenues soi-disant glamour pour enfants. Il y eut aussi bon nombre de coiffes-perruques en plastique moulé, qui apportaient sur les chères têtes blondes (brunes et rousses) des coiffures très cocktail lounge. Bien souvent, les petites filles rêvaient d'être des stars déesses comme dans les films et les poupées se firent le miroir de ces rêves en reproduisant les tenues les plus typiquement sexy des dernières tendances parisiennes via Hollywood, interprétées par d'avisés fabricants de jouets. Puisque les fabricants de vêtements jouaient avec succès sur ce fantasme de glamour, il était tout naturel que cette tendance se retrouvât à l'échelle des poupées.
Les créations de Frederick’s of Hollywood, ainsi que celles de milliers de fabricants de vêtements "glamour" furent alors librement portées par des filles plus émancipées et désireuses de croquer la vie à belle dents. A cause de leur éducation ou de leur milieu dit "respectable" autant que par leur âge, bon nombre de petites filles ne pouvaient pas accéder à une telle garde robe, plus appropriée aux cocktails parties et autres moments romantiques de la vie d'une femme - croisière en bateau, voyages de shopping, parties et réception mondaines, mais leur poupées, elles, le pouvaient. Les noms des tenues avaient tous les sous-entendus lourds de sens des thèmes de calendriers de pin-ups et des plans de petits copains de bande dessinées à la Marvel Comics.
L'absurdité de ce nouvel hybride de fille innocente/séductrice/aventurière qui se retrouvait largement dans la culture populaire de cette époque ne fut jamais aussi bien représentée que lorsque Zsa Zsa Gabor lâcha son cultissime "I hate dat Qveen" ("Jé détesté cette Rrrreine"), le corps compressé dans une robe bustier ultra moulante à dos nu en lamé rouge et or dans le pré-cité film "Queen of Outer Space". Situé sur Vénus ("La planète de l'amour"!) de glamoureuses séductrices de l'espace avaient d'amples opportunités (et les formes!) pour porter des robes bustier moulantes, des pantalons "capri", des bas nylon à couture dévoilés par des robes largement fendues….le tout accessoirisé avec force bijoux rutilants de strass et de pistolets laser. Ce film est sans aucun doute LA référence de ce genre de look et il fut certainement significatif d'une catégorie de goût prévalant à l'époque. On comprend pourquoi, concernant les poupées qui représentent ce style, je les place dans l'école des "reines de l'espace intersidéral".
Lilli, reine suprème du royaume des Reines de
l'espace intersidéral
La reine suprême ayant préséance absolue au royaume des reines l'espace intersidéral -et sidérant- fut donc l'iconique Lilli, une poupée inventée à l'origine comme un personnage de bande dessinée en 1952. Créée par le caricaturiste Rheinhard Beuthien, l'aguichante et ingénue Lilli apparut pour la première fois dans une colonne du BILD le 24 juin 1952. Sexy et élancée sur ses talons hauts, la "naïve" adolescente Lilli était assez femme pour enfiler les sous-entendus coquins (les Américains utilisent le charmant mot de "double-entendre") comme autant de perles à son collier.
L 'emballage, un tube de plastique transparent présentant la poupée sur un socle marqué "Lilli" avec le logo du journal "BILD" fut dessiné par Mme Maar. Ces stands furent aussi exportés aux USA mais sans le logo BILD. La poupée ne porte aucune marque sur le corps ou la tête. Le 12 aout 1955, deux Lilli respectivement de 19 et 28 centimètres, habillées de façon presque conforme à la scintillante vedette de cinéma Brigitte Bardot, firent leurs débuts et furent ensuite exportées à travers le monde. Sa garde robe fournie, bien que totalement ignorée par la plupart des hommes machos qui se contentaient de l'exhiber au rétroviseur de leur voiture comme un gag, était la quintessence de la coquette avérée. Un jeune Allemand, célibataire adulte ayant sa propre voiture, déclara à l'époque:
"Elle était un gag irrésistible….imaginez, une poupée avec des nichons et de longues jambes! Rien n'existait avant comme elle, et c'était un gadget si intelligent. On a tellement rit en blaguant là dessus, surtout les samedis soirs quand on roulait en draguant les filles et en s'arrêtant dans les bars pour boire des bières."
Rien de plus clair!
Absolument tout ce que portait la poupée dans les premières séries était moulant: le jersey maille, les pantalons, les capris (ou corsaires), les fourreaux, les maillots de bain bustier dont la taille fine était encore accentuée par de grosses ceintures à boucle ou par des tailles diminuées en côtes. Les jambes tendues bien droit, elle se tenait sur de dangereux talons hauts, au noir brillant très fétiche année 1940. La plante des pieds était mise à rude épreuve avec cette soumission de victime consentante au diktat de la mode, et comme les chaussures étaient moulées sur le pied, elle y restaient même lorsque Lilli était dénudée!
Il n'est donc pas étonnant que la poupée Lilli, à l'origine de la plus populaire poupée mannequin de tous les temps fut conçue à l'origine plutôt comme un gadget à fantasmes masculins que comme un jouet pour petites filles. Ses chaussures avaient des trous sous la semelle et elle tenait sur un support doté d'une tige qui pénétrait le partie inférieure de la jambe. La poupée Barbie qui allait usurper sa place en beauté est connue pour ce détail typique de ses débuts.
Une garde-robe de pin-up!
Son maquillage, très cat woman/maitresse-à-qui-il-ne-faut-pas-la-faire, consistait en un souligné des yeux très accentué d'eye liner qui remontait en pointe; les pupilles noires, avec l'éclat blanc curieusement aussi agrandi que s'il faisait office d'iris, lui donnent un regard vide de science fiction très “Plan Nine from Outer Space”- même si son regard de coté semble signifier un rédhibitoire "Qu'est-ce que tu racontes?" ou "Parle juste quand on te le demande". Ses lèvres ont la forme arrondie si typique des pin up des années 40 ( en français on dit "en cul de poule") et ont l'expression que la bouche prend quant elle vient de prononcer clairement le mot "Bitch!". La couleur, d'un rouge sang très vif, fait écho aux deux petites pointes placées dans les narines. Ses sourcils sont de toute évidence épilés et redessinés en arc et lui donnent ce supplément d'attitude de fille affranchie à qui on ne la fait pas. Elle portait de plus beaucoup de rouge aux joues.
Sa surface était dure, en plastique peint d'une carnation plutôt pâle ( peut-être à force de passer trop de temps dans les bars et de manquer de soleil). La parfaite queue de cheval qui ornait sa tête était la seule concession à sa tranche d'âge supposée adolescente de type aryen, même si elle était ornée d'un coquin noeud en fine cordelette de plastique noir que l'on imagine parfaitement adaptée à se transformer en fouet ou en lanière pour attacher des chevilles ( ou les bras d'une autre poupée dans le dos).
La garde-robe de Lilli accentuait encore plus son aura Betty Page, fameuse reine du bondage érotique soft des années 50 s'il est en et que l'on ne présente plus. Ses ensembles, en plus d'être moulants, étaient échancrés, très suggestifs et non doublés. Un collectionneur allemand plus qu'enthousiaste affirme que les jupes ultra courtes de Lilli anticipaient déjà la mode de la mini-jupe du milieu des années 60….ce qui n'est n'est pas du tout exact. Les robes courtes étaient un attribut typique des pin-ups des années 40, lesquelles s'inspiraient largement des tenues érotiques de Betty Page que l'on pouvait voir au fil des pages de revues pour messieurs à l'époque. L'un des plus extrêmes était le magazine Bizarre, très axé sur l'érotisme bondage (sado masochiste et fétichiste toujours avec humour et une bonne dose de misogynie pas très politiquement correct aujourd'hui), la revue Eyeful avec ses couvertures de pin ups, dont Vargas devint un des dessinateurs les plus connus avec ses Vargas Girls, reines des calendriers et posters pour ateliers de mécanos. Sans oublier les films coquins pour soirées d'enterrement de vie de garçon, les fameux Tease-a-rama, Strip-a-rama et l'irrésistible Varietease avec, bien sûr,l'inégalée reine du burlesque, Betty Page. Parmi ses collègues du genre, on doit citer évidemment la presque surréelle et explosive rousse aux seins en obus, Tempest Storm (il faut la voir se réveiller, toute maquillée dans son lit, et minauder tout en faisant son lit, qui disparait dans son placard - à mourir de rire! Bon cela excitait bien des messieurs, alors...Autre personnage, la demi-mondaine Lilli St Cyr ( qui avait des véléités d'artiste et prêta son nom à une ligne de soutiens-gorge plus communément appelés "bras"). Il y avait bien sûr toute une flopée d'autres artistes du burlesque qui avaient leur petite notoriété à l'époque, dont un travesti de petit gabarit au maquillage curieusement similaire à celui de Bild Lilli. On peut s'amuser à spéculer sur l'origine du nom de Lilli: d'après Marlène, idole à soldats ou la strip teaseuse de renommée internationale Lilli St Cyr?
La star de tous les bars
Quoi qu'il soit, ces robes courtes avaient une chose à chose à prouver. La blague était que ces tenues étaient exactement comme des tenues à la mode pour jeunes lycéennes, mais TRES TRES coutres, pour dévoiler des porte-jarretelles et le haut des bas avec un petit effet coquin délibéré. Car enfin, toutes les tenues de Lilli avaient un coté pervers calculé. La robe pour danser ( parfaite pour faire trois petits tours dans les bars de Hambourg) avait in corsage boutonné à la va-vite. La tenue bavaroise était plutôt décolletée et donnait à la poupée l'air aguicheur d'une serveuse qui met toutes les chances de son coté pour avoir de bons pourboires ("Vous foulez dé la krème fouettée?"). C'était la version allemande de Irwin Klaw/Betty Page de la femme de chambre française, drôlement délurée, qui fait le ménage un plumeau à la main, en uniforme de satin noir ultra ultra court avec son tablier à volants et des talons noirs très fétiche qui finissent des jambes gainées de bas résille, aux jarretières bien exposées. Hé oui, que voulez vous, tout le monde pense que c'est comme cela que les bonnes font le ménage en France!
La garde-robe de Lilli comportait aussi un certain nombre de tenues à jupes extrèmement courtes, comme celles pour le patin à glace ou pour danser, et ses shorts étaient, comme ont l'a déjà dit, très mini. Ces shorts à revers et pantalons corsaires se portaient avec des blouses sans manches nouées comme les chemisiers dits calypso, d'après la danse des Caraïbes pour le moins lascive et très à la mode alors. Elle ne pouvait rivaliser qu'avec ces effeuillages de films en noir et blanc qu'on se passait sous le manteau, dotés d'une musique vavavoum-esque où le saxophoniste et le batteur semblent être deux larrons en foire quis'en donnent à coeur joie pour chauffer le numéro d'une belle pépée. Ses robes-fourreaux à la Tempest Storm (assez cheap donc), hé bien ils étaient échancrés jusque-là et ne remontaient que jusque là, et bien sûr toujours sans bretelles ni doublure. Un sacré numéro cette Lilli, je n'aurais pas voulu être la poupée rivale dans son collimateur!
Lili fut vendue à ses débuts avec des tenues qui étaient à la limite du risqué et même carrément raccoleuses. Son catalogue, qui semble à première vue presque conçu pour une clientèle masculine, assurait qu'elle était "la star de chaque bar", une allusion à peine déguisée à la prostitution ou a son statut de fille à garçons, voire entretenue, qui, il faut le rappeler, est celui des dessins de Beuthin. Mais éventuellement, elle finit par être orientée vers le marché plus large de jouet pour petites filles et sa garde-robe devint plus décente, moins exposée ou provocante, avec des robes du soir moins découvertes ou des tenues de ski fédératrices. Même si elle conserva des tenues d'infirmière ou d'hôtesse de l'air ( qui ont tout de même un attrait fétichiste pour certains, et comment donc!) elle eut beaucoup de tenues plus mondaines, des blouses à col montant et pulls à col roulé, des étoles en fausse fourrure, des manteaux en ocelot synthétique ( très Liz Taylor dans le bouleversant film "Butterfield Eight, l'histoire tragique d'un malentendu avec ses ensembles en constante dualité damnée sur le mode modèle/prostituée) et enfin des tailleurs très revue Bizarre magazine en velours noir doublés de satin.